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Article: L’école Rimpa : l’art de la stylisation poétique au Japon

L’école Rimpa : l’art de la stylisation poétique au Japon

L’école Rimpa : l’art de la stylisation poétique au Japon

Parmi les grands courants esthétiques du Japon, peu ont laissé une empreinte aussi singulière que l’école Rimpa (琳派). Ni académie, ni lignée héréditaire, le Rimpa est un mouvement sans manifeste, né à Kyoto au début du XVIIᵉ siècle, et pourtant reconnaissable au premier regard.

Ses œuvres, qu’elles soient peintes ou laquées, frappent par leur puissance décorative, leur sens du rythme, leur capacité à condenser la nature en motifs stylisés, libres et lumineux. 

Ce style, qui traverse les siècles sans jamais perdre de sa fraîcheur, révèle une autre façon de penser l’art : non comme imitation du réel, mais comme transcription de l’essentiel.

École Ogata Kōrin - Boîte à encens décor prunier en fleurs - 19ème siècle - The Met Museum - Crédit : H. O. Havemeyer Collection, Bequest of Mrs. H. O. Havemeyer, 1929

Origines de l’école Rimpa : naissance d’un style à Kyoto

L’école Rimpa naît dans la ville de Kyoto au début du XVIIᵉ siècle, à un moment où l’aristocratie et les lettrés redéfinissent leur rapport aux arts après les guerres civiles de l’époque Sengoku. Ce n’est pas une école au sens institutionnel, mais un mouvement esthétique porté par une affinité de regards et une admiration partagée pour les arts anciens, notamment ceux de la cour impériale de Heian.

Deux figures en sont à l’origine : Hon’ami Kōetsu (1558–1637), calligraphe, potier et esthète issu d’une famille de polisseurs de sabres au service des shoguns, et Tawaraya Sōtatsu (actif vers 1600–1640), peintre et marchand établi dans le quartier de Shijō. Ensemble, ils conçoivent des œuvres mêlant calligraphie, peinture et ornementation, où la beauté formelle prime sur la narration. Leur collaboration sur des rouleaux de poèmes illustrés marque une étape décisive dans la naissance du style.

L’union du lettré et de l’artisan, du texte et de l’image, donne naissance à une esthétique fondée sur la stylisation de la nature, l’épure des formes, l’éclat des matières. Mais ce que l’on appellera plus tard « Rimpa » ne naît pas comme un manifeste. Ce sont les artistes du siècle suivant, en particulier Ogata Kōrin, qui cristalliseront les principes de cette sensibilité dans une forme plus immédiatement reconnaissable.

Tawaraya Sotatsu - Wind God and Thunder God (17ème siècle) - Kyoto National Museum. Crédit : Brother Sun

Un style avant tout visuel : principes esthétiques du Rimpa

Le style Rimpa se distingue par une immédiateté visuelle. Il ne cherche ni la vraisemblance ni la perspective, mais propose une transcription poétique du monde, fondée sur l’ellipse, la stylisation et l’agencement libre des formes. La nature y est omniprésente, mais elle n’est jamais descriptive : herbes, vagues, pruniers ou iris sont réduits à l’essentiel, magnifiés par la composition, les vides, les contrastes.

Suzuki Kiitsu - Volubilis (début 19ème siècle) - The Met. Crédit : Seymour Fund, 1954

Les artistes Rimpa privilégient les aplats de couleur, les motifs flottants, la symétrie imparfaite, les jeux de rythmes visuels obtenus par la répétition ou la rupture. L’espace n’est pas structuré par un point de fuite, mais par la respiration entre les formes. Le mouvement naît de la tension entre l’immobilité du fond — souvent doré, argenté ou texturé — et la dynamique des motifs.

Ce traitement du motif s’inscrit dans l’héritage du yamato-e, la peinture japonaise traditionnelle centrée sur les paysages et les saisons, et de la poésie waka, où la suggestion l’emporte sur la description. Le style Rimpa en transpose l’esprit dans une esthétique visuelle, où la nature devient un langage de formes, de rythmes et de silence.

Ogata Kōrin - Fleurs - estampe sur bois - période Edo - The Met Museum - Crédit : H. O. Havemeyer Collection, Bequest of Mrs. H. O. Havemeyer, 1929

La laque dans le style Rimpa : raffinement des objets et éclat des matières

Si le style Rimpa s’est illustré dans la peinture sur paravent, il a aussi marqué profondément les arts décoratifs, en particulier l’art de la laque. Objets d’usage comme les suzuribako (boîtes à écriture), les kodansu (petites commodes), les boîtes à encens ou les plateaux deviennent, sous l’influence du courant, des surfaces de composition à part entière.

Les artistes Rimpa y mobilisent des techniques de grande virtuosité : maki-e, où la poudre d’or est appliquée sur la laque fraîche, raden, incrustation de nacre irisée, ou encore nashiji, effet miroitant obtenu par la dispersion de fines particules métalliques dans les couches de laque. Ils recourent également à des feuilles d’or, d’argent ou de plomb découpées ou partiellement polies, pour créer des effets de profondeur ou souligner le rythme de la composition. Ces matériaux précieux ne sont pas utilisés pour leur valeur matérielle, mais pour leur capacité à capter la lumière et à évoquer une beauté suspendue.

Dans ces œuvres, les motifs ne suivent aucune narration : ils sont fragmentaires, suspendus, parfois asymétriques, souvent liés aux saisons — camélias, iris, pins balayés par le vent. L’ornement devient langage. Le décor ne complète pas l’objet : il le transcende.

La plupart de ces pièces ne portent pas de signature. Il ne s’agit pas là d’anonymat, mais d’un effacement volontaire de l’individu derrière une esthétique partagée. Le style Rimpa, plus qu’un nom, est un esprit. Il ne s’incarne pas dans un artiste unique, mais dans une manière de voir et de faire.

École Ogata Kōrin - Suzuribako - 18ème siècle - The Cleveland Museum of Art - Crédit : The Cleveland Museum of Art

Ogata Kōrin : le maître qui cristallise l’esprit Rimpa

Un siècle après Kōetsu et Sōtatsu, l’œuvre d’Ogata Kōrin (1658–1716) marque une étape décisive dans l’affirmation du style Rimpa. Issu d’une famille de marchands de textile aisés à Kyoto, formé à la peinture, au dessin sur kimono et à la culture classique, Kōrin porte à maturité une esthétique fondée sur l’abstraction du réel et la tension entre faste décoratif et dépouillement formel.

Ses œuvres les plus célèbres, comme les Iris ou les Pruniers rouges et blancs, peints sur paravent, témoignent de cette maîtrise du rythme, du silence et de la surface. Les contours sont fluides, les volumes absents, les motifs réduits à l’essentiel. Chaque élément vibre par le contraste entre les vides, les pigments minéraux, les aplats de feuille d’or. La peinture devient presque un tissu visuel, une partition décorative sans anecdote.

Kōrin ne se limite pas à la peinture : il applique ces principes aux objets, notamment à travers des boîtes en laque où l’or, l’argent et la nacre se répondent dans des compositions flottantes. Loin d’un art mineur, la laque devient chez lui un prolongement naturel de la peinture — un espace d’expérimentation raffinée. Son frère, Ogata Kenzan, céramiste de renom, prolonge cet esprit dans l’univers des objets quotidiens.

Par son influence, sa notoriété et l’ampleur de son œuvre, Kōrin donnera son nom au courant : Rimpa, littéralement « l’école de Kōrin ». Ce nom, forgé au XIXᵉ siècle, vient désigner après coup un ensemble d’artistes partageant une même sensibilité, sans lien direct de maître à disciple, mais liés par une fidélité à une vision commune de l’élégance.

Ogata Kōrin - Iris à Yatsuhashi - Paravent à six panneaux - 18ème siècle - The Met - Crédit : Purchase, Louisa Eldridge McBurney Gift, 1953

Héritage et prolongements du style Rimpa

Le style Rimpa ne s’éteint pas avec Ogata Kōrin. Un siècle plus tard, à Edo, le peintre Sakai Hōitsu (1761–1828) entreprend de raviver cet héritage. Issu d’une famille de samouraïs cultivés, il publie en 1815 les Kōrin Hyakuzu (Cent motifs de Kōrin), une série d’estampes célébrant les compositions du maître. Il réalise également des répliques et des hommages à ses œuvres, tout en enrichissant le style de touches plus délicates, de nuances plus picturales. Grâce à lui, le Rimpa devient un langage esthétique transmissible, reconnu et revendiqué.

Au-delà de cette revivification au XIXᵉ siècle, le Rimpa exerce une influence plus large, jusque dans les mouvements artistiques occidentaux. Sa stylisation de la nature, l’abstraction décorative de ses formes, l’emploi du vide et des matériaux précieux ont inspiré de nombreux artistes européens de l’Art Nouveau, sensibles à cette fusion entre ornement, structure et poésie. Des créateurs comme Gustav Klimt, ou des écoles comme celle de Nancy, ont été marqués par cette esthétique venue du Japon.

École de Ogata Kōrin - Coquelicots blancs sur fond d’or - Paravent à six panneaux - 18ème siècle - The Met - Crédit : H. O. Havemeyer Collection, Gift of Horace Havemeyer, 1949

Au Japon même, le Rimpa irrigue encore la création contemporaine. Il réapparaît dans les compositions graphiques de certains peintres du XXᵉ siècle, dans le design textile, la céramique, et jusque dans les installations ou objets d’art conçus par des artistes actuels. Non pas comme un style figé, mais comme une grammaire visuelle fondée sur l’épure, la répétition, la lumière.

Suzuribako école Rimpa, début 20ème siècle, proposé par Atelier Ikiwa, à retrouver via ce lien

La force du Rimpa réside peut-être dans cette capacité à échapper aux écoles, tout en laissant une empreinte. Il n’est pas une doctrine, mais un souffle — reconnaissable sans jamais se répéter.

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Attribué à Ogata Kōrin - Glycines - Éventail pliant monté en kakemono - 17ème-18ème siècle - The Met - Crédit : H. O. Havemeyer Collection, Gift of Horace Havemeyer, 1949

Image de couverture : Sakai Hōitsu - Fleurs et plantes été et automne - Paravent à deux panneaux - 19ème siècle. Tokyo National Museum - Crédit : emuseum

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