En Asie, sur les chemins de la teinture indigo
Il est une couleur qui touche nos coeurs, celle du ciel le soir et de la profondeur des océans, mais aussi celle légère et transparente comme l’eau et douce comme le myosotis. Une couleur mystérieuse, presque magique. Cette couleur c’est l’indigo, présente sur tous les continents, et qui raconte des histoires de patience, du travail de la main, et des miracles qui s’opèrent, que l’on imagine habituellement d’un bleu marine profond mais qui en réalité prend de multiples teintes de bleus, du plus clair au plus foncé. Nous partons en Asie, sur les chemins de l’indigo, qui de l’Inde au Japon, en passant par la Corée, le Bhoutan et l’Indonésie, est une éternelle source d’inspiration et d’émerveillement.
La géographie de l’indigo d’Asie
Depuis plus de 4000 ans l’indigo unit les peuples d’Asie dans une sublime quête de bleu, une couleur qui contrairement à d’autres ne s’obtient qu’après un long processus qui n’a pu découler que de recherches hasardeuses et d’intuitions tant rien ne transparait des miracles qui peuvent s’opérer en triturant une plante totalement étrangère de visu à la teinture qu’elle peut produire.
Les traditions de la teinture indigo se retrouvent dans toute l’Asie, nous citons dans cet article quelques exemples seulement, l’Inde, le Japon, l’Indonésie, la Corée, le Bhoutan, certains moins connus que d’autres, car à cette liste les traditions de la Chine, du Laos, du Vietnam, du Sri Lanka, du Cambodge et de Thaïlande auraient pu être ajoutées.
Au départ c’est une feuille on ne peut plus verte. En Asie elle est rattachée à une plante qui n’est pas toujours la même: l’indigotier, le pastel, la renouée, le laurier, l’indigo grimpant… des plantes sauvages ou cultivées, qui ont besoin de chaleurs tropicales, ou d’humidité, ou de calme tempéré. Ces plantes ne se ressemblent pas, et pourtant, elles cachent le même secret, les mêmes propriétés, dont celle, indispensable, d’héberger en leur coeur de l’indican incolore, un composé organique.
Et les hommes et le femmes d’Asie ont su percer son secret. Comment? Mystère! Comment passe t’on d’une feuille verte à un tissu bleu lorsque contrairement aux autres plantes servant à la réalisation des teintures naturelles absolument rien ne tient de l’évidence dans le lent et compliqué processus qui amène au bleu. C’est le miracle de l’indigo!
Le lent et patient travail de l’indigo d’Asie
Éloge de la patience et du mystère, le bleu indigo s’obtient après de multiples opérations dont le résultat final est aléatoire tant les éléments extérieurs influencent le processus. Il est donc l’apanage d’artisans très spécialisés.
Comme il existe plusieurs types de plantes à indigo les techniques peuvent varier d’un pays d’Asie à l’autre mais le coeur du processus reste identique puisque nécessitant des réactions chimiques très spécifiques.
Habituellement, on récolte les branches des plantes à indigo, que l’on fait macérer dans de l’eau pendant quelques heures, jusqu’à ce que le liquide prenne une texture épaisse dans des tons jaunes-bruns. La surface est alors mélangée et battue, pour y introduire de l’oxygène. La matière vire au vert, puis au bleu, et un épais dépôt se forme. Le liquide restant est retiré, le sédiment est chauffé puis filtré pour donner une épaisse pâte que l’on laisse sécher avant de la transformer en blocs ou boues que l’on pourra conserver plus ou moins longtemps. Ces blocs de matière indigo, qui ne sont pas solubles, doivent être rendus solubles par la fermentation avant d’être rendus insolubles de nouveau par l’oxygénation une fois en contact avec les fibres (la dernière étape). La fermentation est un processus très lent qui s’effectue généralement dans des cuves, où la matière est mélangée à un agent qui varie selon les pays et les régions: de la chaux, de la bière, du saké… La cuve d’indigo prête (après 30 ou 40 jours dans certains cas) les fibres (fils ou textile déjà tissé) peuvent y être trempées. C’est en retirant les fibres de la cuve, lorsqu’elles entreront en contact avec l’oxygène de l’air, que la couleur bleue apparaitra. La densité du bleu (du plus clair au plus foncé) dépendra du nombre de bains d’indigo que les fibres prendront et de la concentration en composant actif de la plante.
Nila, le bleu indigo de l’Inde
Indigo roi parmi tous les indigos, l’indigo Indigofera tinctoria d’Inde est celui qui a généré tous les fantasmes et le commerce depuis des millénaires, parcourant la Route de la Soie, un Or Bleu indien d’une rare qualité (car très concentré en composant actif) dont l’Europe en particulier était très friande jusqu’à la création de l’indigo de synthèse.
La richesse textile de l’Inde, tissage, teinture, broderie, techniques d’impression, est immense et magnifique, chaque région, tribus, ayant ses expertises et modes d’expression, mais le bleu indigo n’était pas une couleur qui se retrouvait beaucoup dans les usages locaux, l’Or Bleu était principalement un produit d’exportation autour duquel les conditions de travail étaient particulièrement pénibles. Depuis 4000 ans l’Inde a également maitrisé de très complexes processus chimiques pour développer des techniques de motifs par la teinture indigo basées sur les principes soit du mordançage (fixer la teinture) soit de la résistance (teinture à réserve). Nila, l’indigo d’Inde, est considéré comme l’un des plus vieux au monde.
Jjok, le bleu indigo de Corée
Historiquement l’indigo coréen, Jjok, et la teinture indigo Jjok Yeomsaek, n’étaient utilisés que pour la famille Royale et les mariages, et a failli ne pas survivre à la modernité quand la guerre de Corée a fait disparaitre les cultures et les traditions de la principale région liée à l’indigo, Naju (sud-ouest de la péninsule) où une florissante économie autour de la production de coton et la teinture indigo s’était développée.
Le renouveau de la teinture indigo coréenne tient à un homme, Jung Gwan-chae devenu le plus jeune Trésor National Vivant, qui depuis 30 ans a réinstallé dans la région de Naju la culture de l’indigo, la récolte et la création de la teinture, selon des procédés typiquement coréens qui utilisent de la chaux constituée de coquilles d’huitres ou de palourdes réduites en poudre. Depuis, le processus de teinture indigo coréenne traditionnelle a été désigné Héritage Culturel National Intangible numéro 115.
Ai, le bleu indigo du Japon
L’indigo du Japon est arrivé via la Chine (qui l’avait fait venir d’Inde) il y a 1400 ans pendant la période Asuka (592-710), d’abord utilisé par les nobles de la cour impériale, puis par les samouraïs (des gilets teints à l’indigo leur apportaient protection) puis plus largement dans la population pendant la période Edo (1600-1868) alors que de très strictes règles encadraient l’usage des couleurs et que l’indigo faisait partie des rares teintes autorisées dans les classes sociales les moins favorisées, générant une véritable vague bleue.
Comme toujours au Japon les techniques importées ne restent jamais statiques et l’indigo a connu de très nombreuses transformations et améliorations au fil des époques, et a ainsi amené la création d’un univers d’une richesse artisanale exceptionnelle.
La plante à indigo du Japon est la Persicaria tinctoria, la renouée des teinturiers, et même si les techniques d’extraction de la teinture indigo sont tout aussi complexes et longues, les artisans japonais ont de plus créé, dès le 8ème siècle, un extraordinaire répertoire pour magnifier l’indigo en réservant des zones du textile sans teinture: attacher, nouer, coudre, rouler, plier, appliquer une colle ou à l’aide d’un pochoir, toutes ces techniques sont encore vivantes aujourd’hui.
Tom, le bleu indigo de Java (Indonésie)
Depuis le 19ème siècle, Pekalongan, sur la côte nord de l’île de Java, est le coeur du batik indonésien, inscrit sur la liste du patrimoine immatériel de l’UNESCO . Cette technique textile merveilleuse suit un procédé immuable d’application de cire chaude, formant des points ou des lignes et à l’aide de 2 outils spécifiques, le canting, stylet en cuivre et le cap, tampon de cuivre. La teinture est effectuée à la main et la cire, une fois ôtée (en mettant le tissu à bouillir ou en le grattant), laisse les motifs apparaitre.
De cette tradition et de sa situation géographique remarquable sur la route entre l’Inde et la Chine, devenu le plus grand port de la région au 19ème siècle, Pekalongan a initié une tradition indigo alors que le pays n’en produisait pas, utilisant des graines de l’indigofera tinctoria indien pour développer ses propres plantations en remplacement de champs de cannes à sucre.
L’indigo indonésien a ainsi fait son apparition dans les traditions textiles batik, seul ou en conjonction d’autres couleurs emblématiques, le rouge et le brun.
Ram, le bleu indigo du Bhoutan
Au Bhoutan la teinture, comme le tissage, est une affaire de femmes, de traditions transmises de mère en fille et d’une immense richesse culturelle, qui restent secrètement dans les familles. La création des teintures naturelles notamment s’effectue loin des regards étrangers tant ce savoir est précieux.
Le bleu indigo du Bhoutan est créé à partir d’arbustes locaux à grandes feuilles, le ram notamment, cultivés dans les potagers familiaux. La lente manipulation des feuilles des plantes à indigo, jusqu’à l’obtention de la teinture, est un travail fastidieux, comme partout ailleurs, et l’ensemble du processus n’est fait que par une seule personne, dans un environnement calme, et sans personne pour observer. Pour obtenir la fermentation désirée la bière de riz locale, chang, est utilisée entre autres.
Au Bhoutan ce sont les fils (d’ortie, coton, chanvre, soie - la matière la plus noble, laine) qui sont teints, utilisés ensuite pour le tissage ou la broderie, dont chaque région a son histoire, ses traditions, et son identité.
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Bibliographie
Pour qui s’intéresse aux traditions indigo d’Asie de très bons ouvrages existent pour parfaire sa connaissance et plonger avec délectation dans le grand bleu et l’artisanat du textile:
INDIGO, périple bleu d’une créatrice textile, de Catherine Legrand (Édition de la Martinière)
Textiles Arts of Bhutan, from the Land of the Thunder Dragon, de Diana K. Myers (Timeless Books)
The Fabric of India, de Rosemary Crill (V&A Publishing)
IRO, the Essence of Colour in Japanese Design, de Rossella Menegazzo (Phaidon)
Block Printing and Dyeing of Bagru, Rajasthan, de Bijoy Chandra Mohanty et Jagadish Prasad Mohanty (Calico Museum of Textiles, Ahmedabad, India)
Indian Textiles, de John Gillow et Nicholas Barnard (Thames & Hudson)
The Indian Textile Sourcebook, de Avalon Fotheringham (Thames & Hudson)