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Article: La laque japonaise, jeu du clair et de l’obscur

La laque japonaise, jeu du clair et de l’obscur

La laque japonaise, jeu du clair et de l’obscur


"Car un laque décoré à la poudre d’or n’est pas fait pour être embrassé d’un seul coup d’oeil dans un endroit illuminé, mais pour être deviné dans un lieu obscur, dans une lueur diffuse, qui, par instants, en révèle l’un ou l’autre détail, de telle sorte que la majeure partie de son décor somptueux constamment caché dans l’ombre, il suscite des résonances inexprimables.”

Junichirō Tanizaki, “Éloge de l’Ombre”

Une histoire issue de la nuit des temps

L’utilisation de la laque est le plus ancien art traditionnel du Japon, avec une histoire qui remonte à l’âge de pierre. Le plus vieux objet en laque découvert au Japon est un peigne qui a 6100 ans, dont la laque rouge était toujours parfaitement brillante! Le Japon est un pays d’arbres, dont plus d’un tiers des variétés n’existent que sur l’archipel, sur cette terre volcanique où ils peuvent s’épanouirent, mélange parfait de sols riches et d’humidité élevée. De tout temps le bois a été travaillé pour le magnifier, avec des techniques artisanales immuables, que ce soit pour des raisons religieuses, d’habitation, ou du quotidien.

La plus spectaculaire technique d’utilisation du bois est sans doute celle qui part de sa sève, la laque (urushi), utilisée au départ pour protéger et renforcer des objets en bois, et qui est devenue au fil du temps un artisanat d’une complexité et d’un raffinement extrêmes, alimenté par les exigences des Cours Impériales successives, jusqu’à celle d’Edo qui a vu le développement du maki-e (saupoudrage d’or ou d’argent). Dès l’époque de Nara (710 et 794) la production de laque est considérée comme aussi importante que celle de la soie ou du papier.

Le vocabulaire de l’art de la laque japonaise

LA ou LE ? Déjà, la question se pose: LA laque ou LE laque ? En fait les deux coexistent mais pour décrire des choses différentes. La laque est la matière, la sève de l’arbre à laque, urushi en japonais. Une fois décoré avec la laque, l’objet devient UN laque, on dira donc une belle laque noire pour évoquer la brillance et l’éclat de la matière, mais un superbe laque pour décrire un objet (même si, avouons-le, féminiser le mot laque nous semble plus naturel !).

URUSHI: c’est la sève de l’arbre à laque japonais. Cette sève est utilisée pour être appliquée sur des objets (pour les protéger et/ou les décorer) mais est également appliquée comme une colle car elle va durcir une fois exposée à l’air et à l’humidité. C’est pourquoi on utilise également de l’urushi comme base de travail dans la technique du kintsugi, qui va permettre de faire durer les objets (céramiques notamment) réparés avec cette technique.

SHIKKI: c’est l’artisanat japonais de la laque

MAKI-E: la technique la plus raffinée utilisée pour magnifier les laques, aboutie à la période Edo (1603-1868), qui consiste à créer un décor sur la laque en ajoutant des matériaux très précieux, comme l’or, l’argent, la nacre, le corail… Ces matériaux peuvent être saupoudrés (poudres d’or et d’argent) sur la laque encore humide, peints (peinture or) ou incrustés.

Le patient travail de la laque

Au démarrage il y a donc la sève d’un arbre, le Rhus Verniciflua, qui pousse en Asie du Nord-Est et du Sud-Est, mais dont la variante japonaise produit la laque considérée comme la meilleure car celle contenant la plus forte proportion de brillance. La matière est d’autant plus précieuse que l’arbre n’est pas très productif: seulement 200ml de sève au total pourront être récoltés sur un arbre âgé de plus de 10 ans (qui sera ensuite remplacé par un arbre jeune qui devra atteindre ses 10 ans avant de donner de la laque à son tour).

La laque urushi est très toxique, et sa toxicité ne disparait qu’une fois que la laque a durcit (les objets en laque ne sont donc pas toxiques). Pour récolter la laque des incisions sont faites dans l’écorce de l’arbre et un liquide blanc-gris visqueux est récupéré. Après un processus de filtrage et de déshydratation la laque devient transparente et des pigments peuvent être ajoutés pour lui donner sa teinte noire ou rouge (les teintes que l’on retrouve le plus souvent, mais les pigments, naturels jusqu’au XIXème siècle, permettaient d’avoir des laques jaunes, vertes ou brunes également).

En parallèle la base qui va accueillir la laque est préparée: traditionnellement la laque est plutôt appliquée sur des objets qui ont été taillés dans du bois, mais elle peut également être apposée sur du papier, du bambou, du textile, du métal, de la céramique, et, de plus en plus pour faire face à la demande, du plastique.

Des artisans très spécialisés

Chaque artisan, qui a des années et des années de pratique avant de maitriser son geste, ne se spécialise que dans une des étapes de fabrication des objets en laque, car la précision et l’expertise demandées sont le travail d’une vie d’apprentissage. Tout le processus est très lent et méticuleux.

Sur l’objet des couches successives de laque vont être appliquées. Plus le nombre de couche sera élevé et plus le rendu sera profond et dense. Au contraire, une couche unique permettra de laisser les veines du bois apparaître. En règle générale 3 couches sont appliquées, mais il peut y en avoir 35 (ou plus!) avec un ponçage entre chaque couche. La dernière couche est transparente, appliquée sur le décor.

Le décor demande lui aussi une très grande dextérité, avec des motifs qui peuvent être dessinés puis peints, ou saupoudrés de poudre d’or ou d’argent, ou gravés.

C’est une fois qu’elle aura été exposée aux éléments, l’air, l’humidité, que la laque acquière toutes ses qualités de dureté et durabilité, et l’objet en laque sera ainsi prêt à affronter les siècles à venir sans jamais perdre de sa qualité!

La poésie des objets en laque

Junichirō Tanizaki dans son célèbre ouvrage “Éloge de l’ombre” nous rappelle que le Beau ne se trouve pas dans les objets eux-mêmes, mais dans notre relation à eux et surtout dans les jeux de lumières qui vont permettre à l’objet de garder une part de mystère.

Un objet en laque gardera toujours la conscience esthétique de celui qui sait prendre son temps, regarder, apprécier non pas juste visuellement, mais par tous les sens: la douceur du toucher d’une laque, la profondeur et la brillance d’un noir qui fait si bien ressortir le vert éclatant de la poudre de thé matcha, le contact de la bouche avec un bol en laque (préférable pour certains à la céramique pour apprécier le goût des choses), l’odeur du bois et de la laque, le son qui s’échappe lorsque l’on tapote avec les ongles sur un objet en laque, petite symphonie délicate.

Une expérience complète, unique et merveilleuse, d’une tranquille simplicité!

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